Pascal Bruckner, romancier et essayiste, avait pris une courageuse position l’an dernier pour la libération de l’Irak. Un an plus tard le voilà qui s’abandonne aux sirènes défaitistes, dans un article publié dans le Figaro du 11/05 intitulé: « L’intervention américaine en Irak : l’effroyable gâchis« . Il mérite bien pour cela un petit « fisking » (ramonage en français), car son texte est rempli de tout ce qu’il dénonçait il y a encore quelques mois.
En Irak, l’Amérique mord la poussière et dilapide un crédit moral déjà très érodé.
Un crédit moral auprès de qui ? Des dictateurs ? Des islamistes ? Des hordes anti-américaines européennes ?
Le seul crédit moral valable c’est celui que lui accorde les Irakiens.
Quoi qu’elle fasse, elle a perdu la bataille de l’image, et ses dirigeants actuels auront réussi l’exploit de la rendre haïssable au monde entier, y compris à ses propres amis, alliés et voisins
Doucement, M. Bruckner: une chose à la fois.
Concernant la haine anti-américaine:
1/ les islamistes et les 9/10ème des moyen-orientaux vouaient une haine féroce à l’encontre des Américains bien avant la libération de l’Irak.
2/ les zéropéens haineux, idem: anti-libéraux, anti-capitalistes, ATTACistes, socialistes, « gaullistes », nationalistes, tous nostalgiques de la puissance européenne (qu’ont fait nos ancêtres de cette puissance ? ils se sont massacrés entre eux allègrement…)
3/ les Russes, mentalement toujours pas tout à fait sortis de l’ère communiste, nostalgiques pour certains du glorieux empire soviétique, dirigés par Poutine ex-colonel du KGB au comportement ambigü en matière de politique étrangère…
Ces groupes là haïssent l’Amérique à des degrés divers: de la folie obsessionnelle des islamistes à la détestation ridicule des altercomprenants chaussés en Nike, en passant par les diplomates condescendants (comme le « singe poudré », a.k.a Dominique Galouzeau), les moustachus et les barbus (parfois on ne les distingue même plus très bien). Avec eux, l’Amérique a tort avant d’avoir commencé. Etre Américain est un tort. C’est être un pollueur, un exploiteur, un infidèle, un consumériste, un matérialiste, un puritain et un obscène pornocrate, un inculte dont la culture envahit le monde… Bref, pour tous ces groupes, l’Américain est l’ennemi. Tout ce qui vient d’Amérique est mal. Pourquoi vouloir plaîre à ces maniaques ? D’autant plus qu’il est impossible de leur plaîre à tous en même temps…
La bataille de l’image:
Les médias occidentaux ne sont pas tous anti-américains, mais par contre ils sont tous anti-Bush (mais pas anti-Clinton, c’est bien une affaire de position politique)
Les médias arabes par contre sont tous anti-américains. Pour s’en convaincre, il suffit de lire, par exemple, les articles du Middle East Media Research Institute: les voix arabes pro-américaines sont minoritaires, et tous les médias d’Etat désignent toujours l’Amérique comme l’ennemi n°1, comme par exemple en Egypte, malgré les 2 milliards de dollars d’aide au développement (note aux contribuables américains: le déficit peut baisser immédiatement de 2 milliards sans que cela nuise aux Etats-Unis).
Donc forcément, la bataille médiatique était perdue avant de commencer, puisque la guerre est menée par GW Bush. Avant même son élection il était fasciste, avec son ministre Ashcroft « proche des milieux d’extrême droite religieuse », Donald Rumsfeld « proche des milieux d’extrême droite juive », et j’en passe. En plus il a été à moitié élu, c’est même pas lui le vrai président!
Alors il ne faut pas s’étonner que les nouvelles positives ne soient pas reportées, que les nouvelles négatives soient amplifiées. Et puis dès le 1er jour des combats la guerre était perdue, c’était le Viêtnam après 2 semaines, Stalingrad après 3 semaines, et régulièrement c’est de nouveau le Viêtnam.
Ceci dit, l’expérience viêtnamienne a prouvé que le vainqueur militaire pouvait perdre médiatiquement. En fait, à force de répéter que l’Irak est un désastre, les journalistes en sont eux-mêmes convaincus, convainquent le public, et Pascal Bruckner au passage.
Heureusement aux USA il y a des journaux, une télévision (Fox News), et bien évidemment un tas de bloggeurs et de politiciens pour expliquer, analyser, et montrer la réalité en Irak. Malheureusement dans le reste du monde entre les médias contrôlés par l’Etat et les journalistes « engagés », avoir une information de qualité n’est pas chose facile. Et même aux USA les principales chaînes de télé (ABC, CNN, NBC) souffrent franchement d’une information limitée, biaisée. (et je ne ferai pas de topo sur Reuters, l’AFP, et Associated Press qui rivalisent d’imagination dans les dépêches…)
Les alliés:
Bush a dit: « avec nous ou contre nous ». La France, l’Allemagne se sont révélées être des adversaires. Ces pays cherchent à « contenir » les USA pour… pour… Honnêtement, je ne comprends pas du tout l’objectif stratégique de l’opposition française à l’intervention US (j’y reviendrai un jour). Il est de notre intérêt que l’intervention US réussisse, même sans nous. Si c’est pour une affaire de gros sous, de contrats pétroliers ou de dettes du régime de Saddam Hussein, alors on ne parle plus de vision stratégique mais simplement d’avidité! (rappel: Achats d’armes par l’Irak 73-90, via Stockholm International Peace Research Institute)
Ceux qui, au nom du droit d’ingérence, soutenaient il y a un an le principe d’une intervention dans le Golfe doivent reconnaître que celle-ci a échoué, au regard de ses ambitions proclamées : instaurer une oasis de démocratie dans un environnement totalitaire, rendre le monde plus sûr
Voyons, World War II a duré 6 ans, World War III, la « guerre froide » a duré 40 ans (1949-1989). La IVème guerre mondiale a commencé un matin de septembre 2001 (s’il faut donner une date, car sinon on pourrait dire que la WWII a commencé en 1933, ou WWW III en 1945…). Combien de temps durera-t-elle, au total ? La bataille d’Irak doit être replacée dans ce contexte, celui d’une guerre. Il y aura d’autres batailles, comme au temps de la guerre froide, contre-espionnage, contre-terrorisme, pressions sur les Etats récalcitrants, la Syrie, l’Iran, récompenses pour les Etats coopératifs, comme la Lybie ou la Jordanie. Peut-être y aura-t-il d’autres phases de combats intenses, je ne l’espère pas.
D’autre part, croire qu’en une année un pays qui n’a jamais connu le respect du droit (au sens libéral) peut devenir subitement un havre de paix est illusoire. La démocratie aurait pu être instaurée plus vite, mais elle aurait été fragile, et n’aurait pu survivre qu’en s’appuyant sur les forces armées coalisées. Sa légitimité, sa crédibilité aurait été plus que minime. D’ailleurs immédiatement les condamnations médiatiques et diplomatiques auraient plu sur elle: « gouvernement fantoche », « marionnettes au service des Américains » etc. Ou alors, il aurait fallu s’appuyer sur les structures de pouvoir existantes, et remplacer la dictature de Saddam par… une nouvelle dictature peut-être ? Ce n’était pas l’objectif, et il fallait former de nouvelles forces de sécurité, prendre le temps de pacifier le pays. Il était impossible de faire autrement.
Maintenant que la contre-offensive syrio-iranienne (Al-Sadr et Falloujah) a été écrasée sans grande effusion de sang, sans soulèvement généralisé, la situation est dégagée pour un futur gouvernement irakien, et ses chances de réussite sont plus élevées.
Le plaisir de voir un horrible dictateur renversé a été vite terni par les revers ultérieurs jusqu’à la divulgation nauséeuse des tortures systématiques pratiquées par les soldats américains dans les prisons irakiennes et afghanes et qui pourraient bien constituer de véritables crimes de guerre
La Convention de Genève s’applique aux soldats en uniforme, et les « francs tireurs » peuvent être abattus sur le champ par les soldats qui les capturent. Il n’y a donc pas de « crime de guerre ». Ceci dit cela n’excuse évidemment pas le comportement de quelques soldats US (voir à ce sujet La torture des médias). D’ailleurs, les sévices méritent-ils l’appellation torture ? Y a-t-il eu des viols, des passages à tabac avec fractures, cigarettes dans les yeux, acide sur les plaies, javel pour nettoyer l’estomac et autres horreurs qui dépassent le stade de l’humiliation ? Les photos montraient des actes stupides et dégradants, on est loin tout de même de la gégène (instrument de travail des paras français à Alger) ou du What went wrong: the Flaw in Seymour Hersh’s theory)
*: Notez que le terme « whistleblower » n’existe même pas en français: cela se dit d’une personne qui « tire la sonnette d’alarme » pour alerter sur des faits graves. En France on dirait « une balance » ou un « délateur », deux termes péjoratifs.
Certes, les plus hautes autorités ont assez vite dénoncé ces mauvais traitements et présenté leurs excuses, mais le mal est fait. Une chance historique pour cette région vient d’être gaspillée, et la défaite dépasse de loin toutes les espérances des adversaires de l’Amérique qui la savourent avec une joie mauvaise.
Le mal est fait, certes, mais vis-à-vis de qui ? Les islamistes et autres anti-américains trouvent de toute façon des raisons de détester l’Amérique, alors peu importe…
La conclusion qu’en tire PB est d’ailleurs effarante: parce qu’il y a eu des sévices « une chance historique a été gaspillée » ? Qu’en pensent les Irakiens ? Zeyad est franchement choqué. Alaa a des doutes quant aux accusations, et il trouve que Saddam a fait pire (heh, les Irakiens le disent…). Ays est désolé du comportement dégueulasse des militaires, mais il comprend bien que ceux-ci seront jugés et punis. Sam aussi est franchement outré… tandis que Ali a carrément le témoignage d’un docteur irakien ayant fait un mois de service à la prison d’Abu Grahib et qui trouve que… les prisonniers sont trop bien traités!
Bref, si la confiance envers les soldats US a baissé, on est quand même loin d’un désastre total, empêchant tout dialogue futur, tout travail commun, toute entente. Les Irakiens savent bien que la situation actuelle est bien meilleure qu’avant, sans crainte de police politique, sans dinar dévalué tous les mois, sans corruption endémique…
Comment le libérateur est-il devenu un occupant, comment une armée surpuissante, relativement bien accueillie par une population soulagée de la chute du tyran, a-t-elle réussi en quelques mois à se faire détester et à fédérer contre elle les frères ennemis sunnites et chiites ?
A lire Pascal Bruckner, on pourrait croire que la contre-offensive syrio-iranienne est couronnée de succès, or il n’en est rien. Falloujah est pacifiée, les Marines y font des patrouilles jointes avec l’ICDC (Iraqi Civil Defense Corp), et Al Sadr a demandé l’exil en échange de la levée du mandat d’arrêt contre lui pour le meurtre d’un imam rival (Al Koheï, assassiné en décembre 2003 sur ordre d’Al Sadr). Le soulèvement général n’a pas eu lieu, son coup d’Etat a raté. Est-il représentatif des « chiites » ? J’ai bien l’impression que non.
L’armée US est toujours vue en Irak comme une armée étrangère, mais les Irakiens savent qu’elle est l’indispensable rempart entre eux et les saddamites, les islamistes, bref les esclavagistes terroristes. Pensez-vous vraiment M Bruckner qu’ils ont tous envie de la voir partir cette armée ? Si oui, pourquoi le soulèvement général n’a pas eu lieu ?
Il faut invoquer, bien sûr, les fautes graves commises après la prise de Bagdad, le champ libre laissé aux pillages à l’exception du ministère du pétrole, funeste symbole, l’incapacité à assurer la sécurité et les services, la dissolution de l’appareil militaire et policier baasiste qui a livré le pays à l’anarchie, l’indulgence coupable pour l’imam factieux Moktada al-Sadr, sans oublier la brutalité des troupes à l’endroit des civils, relevée par la plupart des correspondants.
Imaginez la situation suivante: pendant plusieurs décennies vous vivez dans un pays mis en coupe réglée par une clique de provinciaux brutaux, les proches du régime au pouvoir possédant tout et vous, comme 90% de la population, rien. Un jour ce régime s’effondre. Du jour au lendemain. Et hop, vous décidez de vous servir, vous l’opprimé du régime, comme tant d’autres qui rêvait d’avoir de la viande tous les jours, d’offrir des vêtements neufs à vos enfants, une parabole, parfois même simplement du mobilier…
Beaucoup d’Irakiens ont choisi d’aller piller tout ce qui représentait le pouvoir, y compris les maisons des puissants, les ministères et malheureusement jusqu’aux hôpitaux parfois (bien que j’imagine là aussi des exagérations journalistiques). Je n’ai aucun mal à les comprendre.
Pourquoi est-ce un triste symbole que seul le ministère du pétrole n’ait pas été pillé ? Une bonne partie du bien-être futur des Irakiens se joue sur le pétrole! Les Américains ont préservé le futur de l’Irak. Comment reconstruire le pays sans le pétrole ? Les seuls crédits US sont insuffisants, malgré les sommes gigantesques englouties en construction d’école, fournitures pour les hôpitaux, reconstruction d’infrastructures pétrolières, portuaires, routières, sanitaires…
Imaginez maintenant que les Américains aient choisi de protéger les palais de Saddam, ou seulement le ministère de la défense ou les fichiers de la police. Ils auraient été accusés de négliger les Irakiens, de reprendre les palais pour y installer leur futur régime fantoche… Pire, imaginez que des soldats US aient tiré sur les foules pendant les pillages: voilà un excellent moyen pour vraiment se mettre à dos toute la population et se faire accuser de crimes de guerre! Les soldats US ont donc laissé faire, et les Irakiens ont pris la situation en main eux-mêmes, avec des AK-47!
Evidemment la situation sécuritaire du pays est encore loin d’être satisfaisante. La faute aux Américains ou la faute à Al Zarqawi, aux Iraniens et aux Syriens ? Il ne faut pas renverser les responsabilités. Si les pays alentours étaient « coopératifs », ou même « neutres », la situation en Irak serait bien plus calme. Les quelques baasistes fidèles à Saddam n’auraient plus d’argent, ni de volontaires. Qui s’est battu à Falloujah ? Vraisemblablement pas mal de Syriens, et bien évidemment quelques baasistes irakiens. Qui a formé les hommes d’Al Sadr et l’a financé ? La main de l’Iran n’est pas loin derrière Al Sadr
Parlons maintenant des « services »: PB a-t-il des chiffres ? Quelle est la production d’électricité en Irak actuellement ? D’eau potable ? De pétrole ? Et des services de santé? A-t-il lu les témoignages de bloggeurs Irakiens, comme par exemple celui de Mohamed ?
Allons-y pour la dissolution de l’appareil militaire et étatique baasiste: était-il compatible avec l’objectif cherché, l’établissement d’une démocratie en Irak ? Il était évident que la première chose à faire était de dissoudre l’armée: les seuls éléments valables au plan militaire étaient loyaux à Saddam, donc néfastes pour les Américains, le reste de l’armée étant composée de pauvres quidams tellement pressés de rentrer chez eux qu’ils l’ont fait sans attendre d’ordre des Américains! Vous pensez un instant l’impression terrible pour les Irakiens si l’armée US avait rappelé les cadres baasistes, avait protégé les palais et les ministères…
Peut-on aussi parler d’indulgence vis-à-vis d’Al Sadr ? Fallait-il agir contre lui avant sa tentative de coup d’Etat ? Le faire aurait été vu comme une agression à l’encontre d’un chef religieux et lui aurait conféré de l’importance, voire même aurait pu rallier à sa cause des indécis. Par son action précipitée, mal calculée, violente, Al Sadr a fourni aux Américains l’occasion idéale de se débarasser d’un danger potentiel à long terme. Jour après jour les « indulgents » soldats US ont tué, 10, 15, 30, 50 de ses soldats dans des combats quasi-continus. Combien de miliciens vivants sont encore fidèles à Al Sadr ? Son Armée du Mehdi a été décimée.
Les accusations de brutalité envers les civils, je ne les ai pas vérifiées, et en lisant les blogs Irakiens je n’ai pas cette impression, même si il y a eu des incidents. Tant qu’ils ne dégénèrent pas, ne sont pas systématiques, et que dans le même temps des faits positifs ont lieu, ils ne constituent pas un danger envers la mission finale. Il faut tout de même, et je fais confiance aux soldats US, en venir à bout, c’est évident. Se focaliser là dessus et oublier le reste, c’est absurde.
Mais ces bévues découlent directement de la mentalité de l’équipe au pouvoir à Washington, aveuglée par son messianisme démocratique, sa bonne conscience inoxydable, la conviction que l’Amérique est la patrie du Bien et que «nous sommes fondamentalement bons», comme l’a dit un jour ingénument Georges W. Bush. En Irak, encore moins qu’ailleurs, les Etats-Unis n’avaient pas le droit au fiasco. Partis sous un prétexte fallacieux les fameuses armes de destruction massive sans l’aval de l’ONU et sans chercher à convaincre les autres nations du bien-fondé de l’entreprise, ils se devaient d’être irréprochables.
Pourquoi faudrait-il avoir mauvaise conscience ? Vouloir implanter une démocratie n’est-il pas un objectif louable, par rapport à la situation antérieure en Irak ? Que GW Bush pense que les USA soient le « pays du Bien » ne signifie pas pour autant qu’il pense que toute action menée en son nom est vouée au succès ou forcément « bonne », mais que le principe est bon.
Qu’ils aient pour cela le soutien d’autres nations, mis à part le Japon, la Corée du Sud, la Hollande, la Pologne, l’Italie, le Portugal et j’en passe et des meilleurs, qu’est-ce que cela peut faire ? L’armée française a-t-elle été déployée pour empêcher les Américains de libérer les Irakiens ? Non. Pourquoi chercher le soutien de l’ONU dont il apparaît maintenant plus qu’évident qu’il n’aurait jamais pu être obtenu étant donné le scandale du programme « Oil for food » ? La France, l’Allemagne, la Russie ont trempé dans les magouilles de Saddam et ne voulaient absolument pas de l’intervention, pour une question d’argent! (pour plus d’infos, cherchez à ce sujet Instapundit)
Concernant les armes de destruction massives, je lis aujourd’hui qu’un obus contenant du gaz sarin a explosé au passage d’un convoi US. Et que dire des souches virales découvertes chez des scientifiques irakiens ? D’où viennent les gaz de l’attentat déjoué en Jordanie il y a quelques semaines ? Pourquoi personne n’en parle d’ailleurs de cet attentat, qui aurait bien pu faire des dizaines de milliers de morts ? Evidemment ces faits ne cadrent pas avec la vision médiatiquement correcte et sont sciemment ignorés, mis de côté. Evidemment si demain on trouve des ADMs en Irak, elles auront été mises là par des Américains!
Or, par un étonnant paradoxe, les faucons du Pentagone et du département d’Etat ont lancé une guerre au rabais, une guerre bâclée : envoi de 140 000 hommes seulement, là où Georges Bush père en avait expédié 500 000 en 1991, absence de projet politique solide, incroyable légèreté dans la planification de la paix et le recrutement des élites appelées à diriger la nouvelle République. Bref, ils ont bafoué l’une des doctrines fondamentales du Pentagone, «espérer le meilleur tout en prévoyant le pire», et ils le payent cher.
Pascal Bruckner, philosophe, s’improvise expert militaire. Pourquoi ne pas plutôt consulter l’excellent Checkpoint Online du lieutenant d’état-major Ludovic Monnerat (armée suisse) ? L’Irak a été libéré en 3 semaines, et maintenant il y a un travail contre-insurrectionnel et contre-terroriste. Vous imaginez qu’avec 500.000 hommes l’armée US aurait fait mieux ? Quel est le déterminant d’un combat anti-guérilla ? Le renseignement. Comment acquiert-on le renseignement ? Par un contact avec la population, par une confiance mutuelle, par l’étude des coutumes locales, etc. Regardez comment Saddam lui-même s’est fait prendre.
Comment perdre face à une guérilla est plus simple: mettez vous la population à dos en appliquant trop de force envers les insurgés, adoptez un comportement brutal et poussez la population à les rejoindre. Plus facile à faire avec 500.000 hommes qu’avec 125.000.
Bien sûr il y a des considérations pratiques: engager 500.000 hommes signifie ne plus avoir aucune réserve opérationnelle, ne faire aucune rotation de troupes… Cela aurait pu donner des ailes par exemple à la Corée du Nord pour exercer un chantage bien plus pressant, aurait obligé à rappeler encore plus de réservistes, voire même à rétablir le service militaire…
Les critiques concernant le volet politique sont plus solides, mais elles se trompent de cible: ce n’est pas le Pentagone mais le Département d’Etat (ministère des affaires étrangères de Colin Powell) qui a mis en place le système bancal actuel. La récente visite à Baghdad de Donald Rumsfeld se situe certainement dans l’optique d’une reprise de la conduite des opérations au moins partielle par le DoD (Departement of Defense, sous l’autorité de Rumsfeld). Malgré un flottement perceptible aucune faction n’a réellement tenté de prendre le dessus sur les autres (à part Al Sadr, qui a échoué), et le pays n’est pas en guerre civile. La constitution est adoptée et dans quelques semaines l’Irak aura un gouvernement intérimaire. Peut-on vraiment parler de pire ?
Ce n’est pas tant le bellicisme que l’on peut reprocher à l’Administration républicaine que sa désinvolture, ou plutôt ce mélange singulier de bombements de torse et de négligence que l’on constate par ailleurs dans le traitement du dossier israélo-palestinien ou l’implication reste minimale. Elle ne s’est pas donné les moyens de réussir, comme si la guerre en Mésopotamie ne constituait qu’une formalité planifiée avant tout pour des raisons de gloire personnelle et de marketing électoral. Et le désastre actuel découle du sentiment d’une victoire trop aisément acquise.
Gloire personnelle et marketing électoral ? Pourquoi avoir déclenché la guerre en 2003 et pas en 2004 pour avoir le soutien de la population pour les élections ? La guerre de 91 n’a pas aidé à faire réélire G. Bush, et il n’est pas évident que la seconde n’ait pas le même effet sur GW Bush!
Les Etats-Unis de Georges W. Bush rappellent étrangement ces régimes marxistes qui récusaient jadis la légalité bourgeoise au nom d’une vérité prolétarienne supérieure. D’où la manière détestable dont ils tentent, depuis quelques années, de se mettre au-dessus des lois communes à l’humanité, au nom du combat contre le terrorisme. Les sévices infligés aux prisonniers irakiens ne font que prolonger et confirmer le système Guantanamo, cette indignité juridique créée, hors sol, au nom de la sécurité nationale et qui bafoue tout l’esprit des conventions de Genève. C’est d’ailleurs tout le système pénitentiaire américain qui est à revoir à la lumière de ces événements, quand on sait l’extrême violence qu’il exerce sur les détenus à l’intérieur des frontières nationales.
Je répète: la convention de Genève protège les combattants en uniforme. Les autres n’ont aucune protection juridique, comme les espions. Vous pouvez les abattre sur le champ, sans aucun procès, et vous ne commettez pas de crime de guerre. D’ailleurs, quel cadre juridique adopter pour les conflits terroristes ?
Concernant les prisons aux USA, il serait intéressant d’avoir le taux de suicide là-bas, car en France il est singulièrement élevé (plus d’une centaine par an pour 50.000 prisonniers), cela donnerait un indicateur chiffré et précis plutôt qu’une allégation hasardeuse, lancée comme une vérité suprême et acquise définitivement…
Le danger de ce type d’entreprise, c’est d’épouser la logique de ses ennemis pour les défaire, c’est de détruire la démocratie pour mieux la sauver et de militariser à outrance la société, au risque de fragiliser l’édifice constitutionnel forgé par les pères fondateurs. Le fait d’avoir été attaquée ne donne pas à l’Amérique le droit de se mettre au-dessus du droit. Les tortionnaires d’Abou Ghraïb ont rabaissé leur pays au niveau des pires dictatures du globe, et leurs exactions constituent la plus belle revanche de Ben Laden sur la patrie de Lincoln. Défendre la «civilisation» n’autorise pas le recours aux méthodes de la barbarie sauf à brouiller toutes les frontières.
La société US est militarisée à outrance ? Ah bon ? Le service militaire est rétabli ? Il y a un impôt spécial pour financer la guerre ? Il y a émission de « War bonds » ? Il y a des bureaux de recrutement dans les lycées et universités ? La police a des pouvoirs spéciaux ? Il y a des détentions arbitraires aux USA ? Des exécutions sommaires ? La censure est rétablie ? Le couvre-feu ? Les écoutes téléphoniques sans mandats ? (ah ça par contre… peut-être bien!)
D’autre part je n’ai pas le souvenir que les tortionnaires cubains, chinois, iraniens, russes (en Tchétchénie) soient passés en cour martiale, ni que des enquêtes aient été ouvertes dans ces pays par les autorités locales, en dénonçant les agissements comme étant indignes des idéaux défendus là-bas.
La frontière est donc claire, et d’ailleurs il s’est trouvé au moins une personne pour tirer la sonnette d’alarme, un « whistleblower ». Il y a donc bien des gens qui reconnaissent le bien du mal, et la hiérarchie a suivi.
De cette triste affaire, on peut tirer trois leçons. La première, c’est que l’heure de l’Europe a de nouveau sonné. Puisque l’Amérique a perdu, et pour longtemps, son magistère moral, c’est à nous, citoyens du Vieux Monde, de reprendre le flambeau, de surmonter nos divisions, notre frilosité et de nous donner une véritable ambition politique.
Après on va reprocher aux Américains leur arrogance! Ecoutez nos intellectuels leur donner des leçons de morale! Où étions nous pendant Srebrenica, Vukovar ? Et que faisions nous à propos du Kosovo ? Et le jeu trouble de la France en Afrique, du Congo (3 millions de mort en 10 ans) en passant par le Rwanda (800.000 morts) ou la Côte d’Ivoire (un pays maintenant divisé) ? Que dire de l’étrange silence à propos des prisons de Saddam, du gazage des Kurdes, de la répression en Iran ? Elle est belle l’Europe, surtout la France d’ailleurs. Ici on reçoit Mugabe un jour et le président du Parti Communiste viêtnamien le lendemain, pour ensuite dérouler le tapis rouge à Poutine ou au président de Chine communiste. D’ailleurs, quel pays organisait récemment des manoeuvres militaires conjointes avec la Chine à 3 jours des élections à Taïwan ?
Et ça donne des leçons de morale ?
La seconde leçon qui découle de la précédente, c’est qu’il ne faut jamais laisser l’Amérique seule. Ivre de son pouvoir économique, culturel, militaire, elle sombre alors dans l’hubris, le vertige du triomphe facile et suscite une pléiade de petits docteurs Folamour qui discréditent par leurs excès, leur bêtise, la cause même qu’ils défendent. Tous les empires sont morts un jour de démesure.
L’éternel refrain de l’Amérique petit enfant qui n’a pas toute sa tête. L’Amérique n’est pas un enfant, c’est un pays gouverné par des hommes, pas par des gamins, à moins de considérer Powell, Rumsfeld, Rice comme des morveux. Amusant aussi cette attaque contre le « pouvoir » américain: hé ouais mon gars, les USA sont le pays le plus riche sur tous les plans, et cela permet d’acheter la puissance militaire. Et quand on voit ce à quoi elle a servi, il y a effectivement de quoi s’inquiéter: grâce à elle, on a pu vivre 40 années presque tranquilles, avec des budgets militaires limités, tandis que les contribuables américains protégeaient tout le « monde libre ». Et le pire ? C’est qu’ils continuent aujourd’hui de nous protéger malgré nous, grâce à leurs actions en Irak et ailleurs, alors qu’on leur crache à la gueule.
Ce n’est pas demain que les USA vont mourir car leur « empire » n’en est pas un: la « puissance » économique des USA ne réside pas dans le pillage, comme l’URSS par exemple, mais dans sa capacité de production. L’Irak ou l’Afghanistan ne sont pas destinés à devenir demain des territoires annexés, les 51 et 52ème états US, mais des pays indépendants et plus libres qu’avant leur libération de despotes arriérés et obscurantistes, claniques, ou théocratiques.
L’épisode irakien plaide plus que jamais pour un renforcement du partenariat transatlantique : l’Europe et les Etats-Unis ont besoin l’un de l’autre pour se modérer, s’encadrer, se conseiller et s’encourager.Nous sommes indispensables à «la nation indispensable» (Madeleine Albright), comme elle l’est pour nous. Gageons qu’instruites par ces déboires, les élites les plus chauvines d’outre-Atlantique en rabattront un peu de leur morgue et comprendront qu’on ne peut sauver le monde en méprisant ceux qui l’habitent, en piétinant les institutions internationales, si imparfaites soient-elles.
S’il y avait une seule adhésion à recevoir avant de libérer l’Irak, c’était celle des Irakiens, malheureusement ils n’étaient pas en mesure de donner leur approbation à leur propre libération. L’avis des Chinois, des Français, des Russes ou des Papous là dedans est sans aucun intérêt. Arrosés par l’argent de Saddam, ils étaient de toute façon d’accord: pourvu que ça dure!
La troisième leçon, c’est que l’Irak est désormais devenue l’affaire de tous et qu’il n’est pas question de l’abandonner : y définir une nouvelle stratégie en associant l’ONU et l’Otan, y favoriser une transition plus harmonieuse vers la souveraineté constitue désormais une urgence. Si toutefois, il n’est pas trop tard, puisqu’aucun scénario n’est à exclure à commencer par une déroute de la coalition chassée comme en Somalie sous les huées universelles.
Qu’est ce que je disais déjà au paragraphe précédent ? Ah oui, que l’avis des Chinois, des Russes, des Français et des Papous on s’en foutait. L’avis de Pascal Bruckner aussi on s’en fout, même si je prends le temps de le commenter (il faut dire qu’il a une densité de conneries à la ligne impressionnante, il doit rattraper son année dans le mauvais camp, donner des gages de bonne conduite…).
Hé bien je vais tenir un propos honteux, à la limite du nationalisme: L’IRAK AUX IRAKIENS! Regardez le Kosovo: 5 ans de présence onusienne, et toujours un gouvernement même pas élu, aux pouvoirs très limités, pas de constitution, bref, que dalle (et même des viols et des tortures non sanctionnés, sous l’oeil de l’ONU par des fonctionnaires de l’ONU). Les fonctionnaires onusiens paradent dans Pristina au volant de 4×4 luxueux, pendant que les Kosovars continuent de vivre dans la misère. Au Soudan… ah oui mais l’ONU n’y est pas du tout, ça simplifie les choses. Ou alors elle met les voiles quand ça va plus, comme… en Irak au premier attentat!
Notez l’allusion au scénario somali: ni à Falloujah, ni contre Al Sadr, à aucun moment les forces US n’ont subi de grosses pertes (>10 hommes en un lieu), et ont toujours agi avec précaution, évitant les dommages importants dans les villes, les victimes civiles etc… Si les Américains sont restés jusqu’à aujourd’hui en Irak, c’est qu’ils y resteront malgré tout. La leçon de Mogadishio a été tirée: ne jamais laisser l’ennemi penser qu’en infligeant des pertes suffisantes vous plierez bagage le lendemain.
Aujourd’hui malgré les presque 800 victimes US (c’est à dire environ le bilan d’une semaine d’accidents de la route aux USA), l’armée US est là et bien là, et contrôle le territoire Irakien, sauf 500m² autour d’une mosquée de Najaf. Et il parle d’une déroute, Pascal Bruckner ?
Une victoire des extrémistes, religieux ou «laï ques» serait lourde de conséquences pour l’Europe et le Moyen-Orient. C’est notre intérêt le plus égoïste que de souhaiter une normalisation réussie à Bagdad.
Après avoir donné la recette pour une défaite certaine (garder les structures baasistes, réprimer les manifestations anti-saddamites de pillages, accroître les troupes, donner le pays à l’ONU…), voilà Pascal Bruckner qui nous rappelle que cette défaite serait « lourde de conséquences ». Un peu de cohérence s’il vous plaît!
Une chose est sûre, dans tous les cas. Dans la lutte contre le terrorisme, l’incompétence est impardonnable. Il faut donc commencer par changer de locataire à la Maison-Blanche.
Il faut le dire vite. Evidemment la vision de Pascal Bruckner doit être alimentée par France 3 ou I-Télévision, donc il doit avoir l’impression d’un gigantesque chaos meurtrier, avec une population pauvre et haineuse à l’encontre de troupes brutales, sadiques même, qui s’affrontent continuellement. Sauf que l’Irak n’est pas comme ça. Sauf que les médias mentent. Sauf que si M. Bruckner s’était donné la peine de lire autre chose que Le Monde et le Nouvel Obs il saurait que la situation est bonne. Mais non, pour son plus grand confort mental, M Bruckner redevient un intellectuel parisien bien pensant. Il rentre dans le rang. Triste France.