Pendant les mois d’avant libération de l’Iraq j’ai décidé de manger seul, pour ne pas avoir à subir des conversations sur l’horrible Bush tueur d’Arabes (peu importe que Saddam en ait tué des millions, Bush est américain!). Pendant les 3 semaines fatidiques de combat, j’ai adopté le même comportement, à quelques rares exceptions près. Mieux vaut prétendre avoir beaucoup de travail que de se fâcher avec des collègues ou bouillir de rage devant les énormités proférées (ils sont enlisés, c’est pour mieux leur mettre la pâtée à Bagdad, etc). Puis j’ai repris le rythme habituel: je ne peux tout de même pas boycotter mes collègues indéfiniment!
Je les ai donc entendus en novembre dernier se réjouir de la mort de soldats US quand les hélicos de l’US Army n’avaient pas encore adopté les tactiques leur permettant d’échapper aux tirs de missiles sol-air, je les ai entendus parler avec enthousiasme du « soulèvement » d’Al Sadr en avril, et toujours de l’affreux Bush, des méchants et stupides Américains. Ce midi, j’ai eu droit à l’éloge du « documentaire » de William Karel sur le gouvernement de George W Bush: Le monde selon Bush. Cette oeuvre de propagande, comme le rappelle Romain Goupil, a semble-t-il marqué les esprits. J’ai préféré m’éclipser, plutôt que d’entendre parler de la cabale néo-con (même si au passage j’ai entendu parler de Colin Powell comme d’un faucon, alors que celui-ci joue contre les néo-cons avec la CIA…), des liens famille Bush-Ben Laden-mafia, lobby juif et je ne sais quoi encore.
Pour moi il y a une séparation très nette entre vie professionnelle et le reste, et je maintiens ce cloisonnement au maximum: personne ne doit savoir ce que je pense de sujets politiques, stratégiques, ou du taux d’imposition (1). En général, tout le monde s’astreint à ces règles implicites: personne ne parle de politique au sens strict, les élections tout le monde s’en fout ou presque (ah, quels mauvais citoyens), sont à peine commentées (sur le ton de la plaisanterie consensuelle).
Pourquoi ne pas conserver la même retenue dès lors qu’il s’agit de la libération de l’Iraq, des élections américaines, ou de la guerre contre le terrorisme ? Parce que ceux qui s’expriment font l’hypothèse qu’il n’existe qu’une seule opinion, et qu’elle ne peut être qu’anti-américaine.
1: j’approuve juste quand j’entends les récriminations devant les taxes sans cesse croissante: il y a un fond libéral dans ce pays, pourvu qu’un couillu se présente avec un programme clair de baisse d’impôt