La grande offensive des talibans a commencé:
Le retour progressif des talibans en Afghanistan, avec des offensives de plus en plus vigoureuses à chaque printemps, notamment en 2006, et désormais une présence forte et déstabilisatrice dans plus de la moitié du pays pachtoune, est un signal d’alerte pour le pouvoir afghan et pour la coalition militaire de l’OTAN, menée par les Etats-Unis. De nouveau, le Sud afghan devient un théâtre de batailles, et les pays occidentaux engagés sur le terrain commencent à exprimer, à l’image de certains politiques et diplomates en France, de sérieux doutes sur les chances de victoire.
Le ton de l’article est sans équivoque: l’Afghanistant est une catastrophe sans nom, et il est urgent de hisser le drapeau blanc. C’est presque la position officielle de la France désormais, et j’imagine sans peine les discussions affolées au quai d’Orsay:
– oh mon Dieu, il y a des morts!
– mais… mais c’est une guerre!
Les scribouillards sortent alors le manuel du petit diplomate français, au chapitre « conflit armé ». Ils sautent la section 1, consacrée à l’Afrique (envoyez quelques légionnaires, tuez quelques personnes, de toute façon les victimes sont Noires, aucun média n’y assistera vu que l’Amérique n’est pas impliquée, et vous pourrez rester autant que vous voudrez mandat de l’ONU ou non…), et passent directement à la section 2: « alliance avec l’Amérique ». Là c’est plus compliqué: « en cas d’occupation partielle ou totale de la France » (agitez des drapeaux, apprenez à dire « ouellecome », offrez leur des putes, taxez leurs clopes), « post-libération » (foutez les dehors le plus rapidement possible sans leur dire merci. Prenez leur d’abord tous les dollars, mais blâmez les pour leur impérialisme.), et il y a le cas « alliance contre un ennemi commun ». Arrivés à cette page les diplomates doivent y lire quelque chose comme:
en cas d’absolue nécessité il est possible de faire alliance avec les Etats-Unis contre un ennemi commun. Dans un tel cas, faites en sorte que l’alliance ne dure qu’un temps limité sous peine de devenir des laquais de l’impérialisme. Si le conflit est gagné militairement avant la sortie de l’alliance, participez aux défilés, réclamez des médailles, et rappelez aux 50 prochains présidents US l’inoubliable courage et l’amitié des nations « frères d’arme ». Si le conflit n’est pas gagné avant la sortie de l’alliance, déclarez le perdu irrémédiablement. Profitez-en pour ajouter que ces salauds d’Américains vous ont traîné là de force, que toutes les décisions tactiques et stratégiques sont de leur fait, mais que vous n’êtes pas des pantins et que pan! nous on se casse quand on veut, surtout si ça va mal.
Le reste de l’article est dans la même veine:
Les « étudiants en religion » pachtounes, nourris au lait des services secrets et des madrasas du Pakistan, soutenus par le mouvement djihadiste Al-Qaida, gagnent du terrain dans le pays et dans les têtes des Afghans. Cette montée en puissance, cinq ans et demi après la chute de l’Emirat islamique taliban, est un échec majeur pour l’OTAN.
Montée en puissance ? mesurée par quoi ? Le fait simplement de continuer à exister ?
[…] Sur le plan économique, le gâchis est gigantesque : la moitié de l’argent dépensé va au fonctionnement propre des donateurs, et une partie de l’autre moitié disparaît dans les méandres d’une administration afghane corrompue. Sur le plan politique, le bilan n’est guère positif, le président Hamid Karzaï ne contrôlant réellement que la capitale, Kaboul.
Ah ça, dès lors que l’argent est distribué par une entité gouvernementale, il est impossible qu’il en soit autrement. Ceci dit, des progrès très nets sont faits: forte réduction de la mortalité infantile en Afghanistan, 50.000 enfants sauvés par an. Concernant le contrôle de l’Afghanistan, dans un pays où chaque clan a sa police et sa justice, comment pourrait-il en être autrement ?
Le résultat de ces échecs est que les pays présents en Afghanistan posent désormais des conditions drastiques à leur engagement, refusent d’être déployés dans telle province ou de combattre dans telle zone, quand ils n’envisagent pas, simplement, de retirer leurs troupes.
On atteint enfin le coeur du problème, et on rejoint exactement le manuel du diplomate français, visiblement copié par tous les Européens au grand coeur mais aux c****s microscopiques! On veut bien participer, mais sans risque. On veut bien envoyer des militaires, mais pas qu’ils tirent de coups de feu. On veut bien les armer, mais ils doivent simplement distribuer de l’eau dans les villages. Ils auront des chars, et devront uniquement construire des écoles. Moi qui pensait naïvement que la formation des snipers français leur permettait de tenir une nuit à -20°C à 3000m d’altitude en dégommant un taliban dans la nuit à 1km de là… Mais non! C’est trop dangereux pour eux! (*)
Comme en Irak, l’opération se heurte à un dilemme presque insoluble : rester, c’est prendre le risque d’être entraîné dans une guerre d’ampleur et vouée à l’échec ; partir, c’est signer une défaite face à un mouvement islamiste totalitaire et pratiquant le terrorisme, tout en abandonnant à leur sort les Afghans qui ont misé sur l’intervention occidentale et, au-delà, sur la démocratie.
Rester, c’est l’échec! Rester, c’est au contraire la garantie que les talibans ne peuvent emporter la victoire. En soi, c’est déjà prouver aux talibans qu’ils ont à faire à des ennemis déterminés, eux aussi prêts à s’engager dans une guerre de longue haleine. Même si la victoire n’est pas pour demain, ni pour après-demain, ni peut-être même pour les trois ou quatre prochaines décennies, il faut rester là-bas, parce que partir est synonyme de défaite. Amusant que Le Monde s’en rende compte, mais la conclusion ne colle pas vraiment:
Si l’Amérique de George Bush ne paraît pas encore capable d’une réelle remise en question de ses opérations militaires afghane et irakienne, l’Europe doit de toute urgence, à propos de l’Afghanistan, se poser la question de la nature de son intervention. Il en va de sa crédibilité, de celle de l’OTAN, et de sa capacité future à intervenir dans des conflits hors de ses frontières.
L’Amérique ayant les troupes les plus « agressives », si elle doit revoir ses opérations militaires, ce ne peut être que dans un sens « européen », non ? Et si les Européens doivent revoir la « nature de leur intervention », cela veut-il dire qu’ils doivent plier bagage ou carrément déposer les armes (ce que, de facto, ils ont déjà fait) ? Alors les Américains devraient refuser de combattre pendant que les Européens plient bagage ? On a du mal à comprendre le point de vue du Monde!
(*): je ne remets pas là en cause les qualités exceptionnelles des soldats français, je montre l’absurdité du non engagement de ces troupes.