J’étais passé à côté d’un édito proprement génial du Monde, celui de mercredi, sur le thème des élections en Iraq! Le voici, agrémenté de mes commentaires:
Bulletins et bombes | 14.12.05 | 14h01
La bonne nouvelle, c’est que les Irakiens votent, jeudi 15 décembre, pour la troisième fois cette année. Ils ont d’abord élu une Assemblée constituante avant d’adopter une Constitution par référendum. Ils désignent maintenant une Chambre des députés d’où sortira le nouveau gouvernement.Dans un pays qui, à l’ère moderne, a connu des régimes autocratiques au sortir de la colonisation, avant de subir pendant des décennies la dictature de Saddam Hussein, et dans une région où les démocraties ne sont pas légion, la tenue d’élections pluralistes en Irak marque un indéniable progrès.
1/ troisième fois qu’ils votent, malgré les menaces d’attentats apocalyptiques, qui restent à l’état de menaces et n’effrayent pas les Iraqiens. Et en votant ils soutiennent implicitement la prétendue « occupation » de leur pays, puisqu’après tout les institutions actuelles sont issues de la prétendue « invasion »!
2/ la participation est en hausse à chaque scrutin…et elle est plus forte qu’en France pour de nombreux scrutins!
3/ « les démocraties ne sont pas légions » ? En fait dans la région il n’y en a qu’une de vraie démocratie: c’est Israël. D’ailleurs des démocraties fonctionnelles dans les pays musulmans, il y en a peu… quand le peu d’élections ne sont pas dominées par les islamistes d’ailleurs!
4/ « un indéniable progrès », quelle blague! C’était un pari auquel personne ne croyait, du moins dans les médias et les cercles intellectuels agréés… Qu’aujourd’hui Le Monde soit obligé de le reconnaître montre bien l’étendue phénoménale parcourue par l’Iraq depuis 2003… (pour prendre un point de repère, en Allemagne la Constitution a été adoptée en 1949, les premières élections ont suivi la même année)
Malheureusement, les files d’attente d’hommes et de femmes devant les bureaux de vote ne reflètent qu’une des images de la situation irakienne. L’autre réalité, celle qui domine les informations depuis qu’en mai 2003 le président Bush a cru pouvoir proclamer que la guerre était finie, ce sont les bombes, les attentats-suicides, les attaques d’une guérilla dirigée contre les « occupants » américains, leurs alliés étrangers et les représentants civils ou militaires du nouveau pouvoir irakien. George W. Bush a reconnu que cette autre guerre, qu’il n’ose appeler par son nom, avait fait 30 000 morts, dont plus de 2 000 soldats américains.
Après un timide acquiescement d’un « progrès indéniable », Le Monde entreprend de nier ce progrès! Pourquoi les attentats dominent les informations ? Parce que les journaux comme Le Monde préfèrent parler des attentats que des élections. Parce que les télés préfèrent diffuser des cratères fumants et des voitures en feu que des écoliers se rendant à l’école. Voilà pourquoi. Des bonnes nouvelles il y en a, il suffit de ne pas les ignorer. D’ailleurs les Iraqiens ne s’y trompent pas….
Or, pour les Etats-Unis, l’installation à Bagdad d’un régime stable, ayant les apparences de la démocratie à défaut d’en avoir les caractéristiques, est essentielle pour que l’expédition irakienne ne se termine pas par une débandade honteuse.
« Les apparances de la démocratie » ? Et pourquoi donc « apparences » seulement ? Faut-il croire que les Iraqiens ne sont que les dupes des Américains ? Qu’aucun des partis iraqiens n’est indépendant, n’est pas soumis à un contrôle américain ? que les médias ne sont pas libres ? Il est vrai qu’en France on peut donner des leçons de « vraie » démocratie, avec un président élu avec un scrore africano-brejnevien de 82% des suffrages exprimés, avec la belle unanimité médiatique concernant l’Iraq (dénoncée par Alain Herthoghe), l’unanimité pour dénoncer pêle-mêle les OGM, le libéralisme, et pour créer de nouvelles taxes et subventions… Ah et il y a bien sûr l’Union Européenne et sa Constitution: même quand vous votez non, c’est oui! Car le « processus » ne doit pas s’arrêter faute de volonté des « peuples »… nous sommes gouvernés par une aristocratie qui n’ose pas dire son nom, dont les médias sont les serviteurs zélés, quand comme en France ils n’en font pas partie par alliance, au sens propre du terme: Beatrice Schönberg, Christine Ockrent…
Confronté à une opinion de plus en plus sceptique, M. Bush voudrait pouvoir rapatrier quelques boys avant les élections de mid term de novembre 2006. Il ne peut le faire que si les forces de sécurité irakiennes sont en mesure de prendre, au moins partiellement, la relève. C’est loin d’être le cas.
Ite missa est! « C’est loin d’être le cas ». Croyez-en la profonde expertise militaire du Monde. Désolé, mais moi je me fie plus à Wretchard, Ludovic Monnerat ou Strategy Page! Ce qui ressort des diverses analyses sur le sujet, y compris celles du Pentagone, c’est qu’effectivement l’armée iraqienne n’a pas encore le niveau pour prendre la relève totalement. Mais partiellement ? Dans certains quartiers ce sont déjà des soldats iraqiens qui patrouillent les rues. Ils mènent des opérations conjointes avec les forces américaines. La relève a déjà commencé…
Faute d’une solution purement militaire, les Américains comptent sur l’effet vertueux des bulletins de vote pour ramener la tranquillité en Irak. Ils l’ont dit, et peut-être cru, avant tous les scrutins. Mais, loin de s’apaiser, la situation a continué de se dégrader. On peut espérer que les élections législatives porteront au pouvoir des forces représentatives de la majorité — chiite — de la population irakienne, tout en garantissant les droits de la minorité sunnite (les Kurdes, quant à eux, profitent déjà d’une large autonomie).
La situation se dégrade médiatiquement, pas militairement…
Mais il serait naïf de croire que ce scrutin suffira à ramener le calme. Il ne résoudra pas le dilemme de l’administration Bush : rester en Irak au risque de renforcer les groupes qui luttent contre la présence étrangère ; en partir au risque de laisser le pays s’enfoncer dans la guerre civile. Pour sortir de l’impasse dans laquelle il s’est mis lui-même, le président américain pourrait être tenté de choisir une voie moyenne, qui cumulerait tous les inconvénients.
Conclusion du Monde: même si scrutin est encore une fois couronné de succès, sans attentats massifs, avec une participation record, Bush a perdu. Il retire ses troupes: il a perdu. Il les maintient: il a perdu. Il les retire progressivement: il a perdu. Pile je gagne, face je gagne, tranche je gagne!
Conclusion au mépris de la réalité, puisque la « présence étrangère » est autant celle de Zarqaoui (Syriens, Iraniens, Séoudiens, Jordaniens, Egyptiens…) que celle des Américains, sauf qu’eux construisent des écoles et réparent les pipelines, tandis que Zarqaoui vise les civils et sabote les installations pétrolières qui font vivre le pays! A votre avis, qui provoque le plus de réactions négatives ?
A propos de la guerre civile « imminente », promise par tous les grands penseurs chaque semaine depuis deux ans (et surtout depuis le début 2005, une élection générale étant bien sûr un signe précurseur de guerre civile!), elle n’a toujours pas commencé, faute de participants shiites et kurdes!
Allez, je vous donne ma version du futur iraqien: réduction des troupes US à mesure que les Iraqiens prennent la relève, poursuite du processus démocratique, conflits de plus en plus intenses entre les rebelles sunnites et leurs alliés de circonstances islamistes étrangers (Zarqawi), baisse d’intensité du conflit, malgré des attentats fréquents parfois spectaculaires ou meurtriers. Pendant ce temps, Le Monde proclamera triomphalement « l’échec de la troisième voie », en n’oubliant pas de donner le chiffre des militaires US « morts au combat » en cumulé depuis 2003 (pour ne pas avouer que la situation est en fait relativement stable ou en amélioration), en fustigeant Bush pour l’abandon de l’Iraq à son triste sort, sort dont les médias se souciaient fort peu sous le règne de Saddam Hussein…
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